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Classement Fairwork des conditions de travail des plateformes numériques de livraison à vélo
La Chaire Impact Positif d’Audencia a piloté le tout premier classement Fairwork pour la France. Ce travail de recherche-action international centralisé par l’Université d’Oxford vise à établir des classements nationaux des plateformes numériques offrant les meilleures conditions de travail. Le rapport prouve que la marge de progression des 6 plateformes étudiées en France est encore grande. Ayant choisi de recruter les coursiers avec des contrats de travail, Just Eat obtient une note de 8/10, qui pourrait cependant sérieusement baisser à l’avenir. La plateforme coopérative des Coursiers Nantais obtient 7/10, soit la deuxième meilleure note, illustrant l’intérêt de ce modèle. Deliveroo, Uber Eats, Naofood et Stuart doivent mettre en place de nombreux changements pour améliorer leur note actuelle de 4/10.
En 2021, 46% des Français ont eu recours à la livraison de repas, une pratique de consommation boostée par la crise sanitaire. Il est donc utile de sensibiliser les utilisateurs aux conditions dans lesquelles les travailleurs des plateformes exercent leur activité. Car ces derniers sont nombreux : environ 415 000 pour l’ensemble des plateformes numériques, d’après le Palmarès des plateformes 2021 du député Mounir Mahjoubi. Le développement de cette économie a engendré de nombreux débats sur le statut juridique et la protection des travailleurs. Si le législateur français a commencé à réguler le secteur, il a pour l’instant refusé de mettre en place une présomption de salariat, contrairement au projet de directive européenne qui la préconisait fin 2021.
L’équipe de la Chaire Impact Positif d’Audencia a choisi de se concentrer sur 6 plateformes de livraison à vélo, dont les trois leaders du secteur et deux plateformes nantaises : Deliveroo, Uber Eats, Just Eat, Stuart, Naofood et Coursiers Nantais.
Méthodologie
Le projet scientifique Fairwork permet d’évaluer les plateformes sur 5 critères relatifs à la rémunération, aux conditions de travail, au contrat, au management et à la représentation collective, en attribuant une note sur 10 à chacune (2 points par critère, le 2e ne pouvant être attribué si le 1er n’est pas obtenu).
Les notes obtenues le sont sur la base d’une étude documentaire, et d’entretiens menés avec les travailleurs, et les managers des plateformes. Pour assurer la fiabilité des évaluations, les scores ne sont attribués que sur la base de preuves fournies de façon formelle par les plateformes à cette équipe Fairwork française sur chaque critère. Les preuves sont ensuite soumises à des évaluateurs externes (autres équipes Fairwork à l’étranger, ainsi que l’équipe centrale Fairwork) pour une notation indépendante. A noter, selon la méthodologie Fairwork, même une note de 10 sur 10 ne signifie pas que les conditions de travail sont particulièrement responsables, mais seulement qu’elles respectent un minimum d’équité.
Le classement Fairwork France 2022 a été piloté par l’équipe de la Chaire Impact Positif d’Audencia avec l’aide des étudiants du Mastère Spécialisé® « Acteur pour la transition énergétique ».
La méthodologie utilisée permet aux initiatives Fairwork, dans le monde entier, de sensibiliser toutes les parties prenantes pour viser un triple objectif : faire évoluer les comportements de consommation, les pratiques au sein des plateformes, mais aussi la régulation juridique pour tirer l’ensemble du secteur vers le haut.
Le classement français : de nombreux progrès restent à faire
Just Eat : un 8/10 fragile
Le score de Just Eat, établi en avril 2022, repose en partie sur le statut salarial qu’elle a été la première à offrir à tous ses livreurs en France en 2020, dans un secteur dominé par le travail indépendant. Tous les employés bénéficient du salaire minimum, parfois dépassable avec certaines primes. Néanmoins, Just Eat pourrait voir sa note sensiblement baisser à l’avenir si l’entreprise rétropédale pour mettre à l’œuvre sa décision récente de ne conserver le statut salarié de ses travailleurs que dans les 7 plus grandes villes de France...
La plateforme créée en 1998 obtient à chaque fois les deux points pour les trois critères conditions de travail, contrats et management. En effet, le statut salarial protège la santé et la sécurité des travailleurs, ainsi que le maintien de leur rémunération en cas d’accident ou de maladie. Les travailleurs bénéficient d’un contrat non modifiable sans leur accord. En matière de management, les coursiers peuvent rencontrer ou joindre des coordinateurs, accéder à des formations, et la plateforme a nommé un responsable diversité et inclusion. Conformément à la législation, un comité d’entreprise est bien en place. En revanche, l’étude n’a pas permis à l’équipe Fairwork de démontrer qu’il jouissait d’un pouvoir de co-décision.
Coursiers Nantais : deuxième plateforme du classement avec 7/10
En 2020, l’association Coursiers Nantais a pris le statut de coopérative. En cohérence avec cette forme d’organisation, la plateforme locale a pu prouver qu’elle était réellement dotée d’une gouvernance démocratique lui permettant d’obtenir les deux points du critère de représentation. Elle a choisi de salarier tous ses livreurs et complète le salaire minimum avec un ticket restaurant de 5,20 euros pour chaque jour travaillé, offrant une rémunération de 1400 € nets à leurs coursiers. Coursiers Nantais obtient également les deux points pour les conditions de travail, car elle offre le filet de sécurité sociale, et améliore la sécurité des livreurs en fournissant et entretenant leur équipement. Son ancrage local et sa petite taille lui permettent une communication régulière en face à face avec ses livreurs, et les entretiens ont démontré que Coursiers Nantais était engagée dans l’égalité des chances, malheureusement l’équipe n’a pu trouver de preuve de sa formalisation par une politique explicite. Par ailleurs, la coopérative veille à ce que ses salariés diversifient leurs missions pour ne pas faire que de la livraison (entretien des vélos, classement des factures, démarches commerciales, etc.)
Uber Eats, Deliveroo et Stuart : 4/10 répartis de la même manière
Les numéros 1 et 2 de la livraison de repas en France, ainsi que Stuart, plateforme locale nantaise, obtiennent tous 4/10. Ces 3 acteurs du marché obtiennent exactement la même répartition de notation sur les 5 critères. Il n’a pas été possible de prouver que les livreurs recevaient une rémunération équitable, même si Stuart propose un niveau de rémunération supérieur aux autres plateformes et n’a pas baissé son niveau de rémunération dans la durée. En matière de conditions de travail, les points n’ont pas pu être attribués non plus, faute de preuve. Le statut des livreurs ne leur permet pas de couverture ni de maintien de salaire en cas d’accident ou de maladie.
Le management est le seul critère où toutes trois obtiennent les deux points, ayant pu prouver qu’elles garantissaient des procédures équitables pour les travailleurs, et qu’elles menaient une politique anti-discriminations. Uber Eats est particulièrement proactive sur cette dimension. Elle dispose d’agents spécialisés à contacter en cas d’agression, désactive les clients auteurs de discriminations, et offre une protection juridique à ses travailleurs qui souhaitent porter plainte et aller en justice, avec une aide allant jusqu’à 5000 €. La plateforme est également celle qui lutte le plus contre la sous-traitance entre livreurs, souvent avec des personnes sans papier. Deliveroo, quant à elle, accompagne ses livreurs vers la création d’entreprise, en leur proposant des ateliers de formation avant un concours de pitch, octroyant des bourses aux lauréats pour lancer leur startup ou financer un diplôme. Enfin, Stuart permet à ses livreurs d’accéder à l’alternance pour évoluer au sein du groupe, voire vers des métiers du numérique.
Naofood : 4/10
« L'alternative locale aux géants de la livraison à domicile » obtient le niveau de base (1 point sur 2) pour les critères « conditions de travail », « contrats de travail », « management » et « représentation ». L’équipe Fairwork n’a pas pu démontrer une rémunération équitable. Il faut noter que le score de Naofood révèle surtout l’impossibilité pour l’équipe Fairwork de prouver la formalisation des pratiques, car l’écoute et le dialogue pour améliorer le fonctionnement de la plateforme sont au cœur du fonctionnement de celle qui veut progresser vers un modèle coopératif. Autre bon exemple, elle ne valorise que les restaurateurs ayant une démarche engagée. Ce manque de formalisation pénalisant est lié à la petite taille de la structure et à sa création récente.
Résultats généraux : des initiatives pour progresser, dans un secteur qui reste très précaire
Rémunération
Si le statut indépendant est préféré par certains, l’étude menée met en lumière que :
- Les données montrent que davantage de principes de travail équitable peuvent être mis en évidence pour les plateformes de livraison de vélos qui utilisent des contrats de travail (Just Eat et Coursiers Nantais). Le salariat représente néanmoins un coût important qui rend fragiles les plateformes qui font ce choix, ce qui explique le retour en arrière que Just Eat s’apprête à opérer en la matière.
- La spécialisation sur la livraison des repas de la plupart des plateformes ne permet pas d’offrir une activité suffisante sur l’ensemble de la journée et engendre donc de longues périodes d’attentes non rémunérées pour les travailleurs indépendants, obligeant souvent les livreurs à s’inscrire simultanément sur différentes plateformes, affaiblissant encore au passage leur situation avec chacune des plateformes.
Conditions de travail
- Les notes de 4 à 8 sur 10 montrent à la fois la diversité des conditions de travail dans les plateformes de livraison à vélo et la grande marge d’amélioration dans ce secteur.
- Les coursiers à vélo, le plus souvent rémunérés à la course, travaillent sous une pression permanente pour aller plus vite, ce qui les met dans des conditions dangereuses sur la route. La formation à la sécurité routière semble largement insuffisante. Seules trois plateformes (Just Eat, Naofood et Coursiers Nantais) fournissent le cadre minimum pour assurer des conditions de travail équitables. Just Eat et Coursiers Nantais sont par ailleurs les deux plateformes assurant un maintien des revenus en cas d’arrêt de travail, grâce au statut salarial.
Contrats
- Just Eat est la seule plateforme répondant au minimum requis en matière de contrat équitable. Naofood et Coursiers Nantais, les deux plateformes locales nantaises, intègrent quant à elles des clauses de non-concurrence qui limitent la liberté de travail des livreurs.
Management
- Si toutes les plateformes étudiées permettent aux travailleurs de pouvoir communiquer avec un responsable, le recours à des chatbots ou call-centers à l’étranger est régulièrement critiqué. Les livreurs interrogés réclament davantage d’échanges en face à face. Les plateformes locales Coursiers Nantais et Naofood ont prouvé pouvoir offrir cette qualité de communication.
- Les trois plus grandes plateformes, Uber Eats, Deliveroo et Just Eat, ainsi que Stuart, ont toutes formalisé une politique de lutte contre les discriminations et la promotion de la diversité ou traitent systématiquement les cas qui leur sont remontés par les coursiers.
- Deliveroo, Stuart et Coursiers Nantais ont toutes mis en place un accompagnement à l’évolution de carrière de leurs livreurs.
Représentation
- Toutes les plateformes ont commencé à structurer un dialogue social, en anticipant la législation française dans ce domaine. La plus avancée sur ces questions est la coopérative des Coursiers Nantais, dont cette forme d’organisation permet un vrai pouvoir de co-décision aux travailleurs. Pour améliorer sa note à ce classement Fairwork France, Stuart a formalisé et accéléré la mise en œuvre de sa politique de diversité.
André Sobcak, Délégué Général RSE d’Audencia et Co-Titulaire de la Chaire Impact Positif de l’école : « L’initiative Fairwork, à travers ses classements internationaux, permet de faire évoluer l’ensemble du secteur des plateformes numériques vers des modèles plus durables, tout en sensibilisant aussi les consommateurs sur leur pouvoir d’influence pour améliorer les conditions de travail des livreurs à vélo. Ce projet de recherche est pleinement aligné avec les engagements d’Audencia, et de notre Chaire Impact Positif, qui vise à influencer les comportements des entreprises, des consommateurs et des pouvoirs publics en faveur de la transition écologique et sociale. »
Liens utiles :
- Rapport Fairwork France
- Replay de l’événement de présentation des résultats aux parties prenantes
- Visuels (logos et visuel du classement)
- Tous les classements Fairwork dans le monde : www.fair.work/ratings/
À propos de Fairwork
Depuis 2021, la chaire Impact Positif est le partenaire français du projet de recherche-action international Fairwork, initié et piloté par l’Université d’Oxford. Fairwork vise à établir des classements nationaux des plateformes numériques offrant les meilleures conditions de travail. Fairwork travaille en Europe, en Afrique, en Asie, en Amérique du Nord et en Amérique Latine. Chaque année, un classement sera publié sur la base de cinq critères relatifs à la rémunération, aux conditions de travail, au contrat, au management et à la représentation collective.
À propos de la Chaire Impact Positif d’Audencia
La Chaire Impact Positif d’Audencia a été créée en 2012. En co-construisant des recherches utiles avec ses partenaires, elle produit et diffuse des connaissances permettant d’intégrer les principes de la responsabilité sociétale au cœur des modèles économiques, des stratégies et des pratiques de management des entreprises, afin de renforcer la performance des entreprises et leur capacité à innover. La Chaire Impact Positif anime également des séminaires ou formations et crée des outils opérationnels pour accompagner les entreprises dans l’amélioration continue de leur démarche RSE, notamment en proposant des comparaisons nationales et internationales ou en favorisant l’échange avec d’autres parties prenantes. Retrouvez la Chaire Impact Positif sur impact-positif.audencia.com.
À propos d’Audencia
Fondée en 1900, Audencia se positionne parmi les meilleures écoles de management européennes. Elle est accréditée EQUIS, AACSB et AMBA. Première Ecole de Management en France à adhérer à l’initiative Global Compact des Nations Unies, également signataire de leurs Principles of Responsible Management Education, Audencia s’est très tôt engagée à former et accompagner des managers innovants et responsables, dotés de compétences hybrides, qui contribuent positivement aux grands enjeux auxquels nos organisations, nos sociétés et notre planète, sont confrontées. Audencia a également créé Gaïa, la toute première école au sein d’une business school dédiée à la transition écologique et sociale. En co-création avec ses parties prenantes, Audencia produit et diffuse des connaissances qui ont un impact sur la littérature scientifique, le contenu de ses formations, les pratiques des entreprises et la société dans son ensemble. Elle contribue ainsi aux trois défis majeurs suivants : la création et l’utilisation de technologies et d’information responsables, la définition et l’adoption d’approches managériales favorisant des organisations et des sociétés inclusives et la conception et la mise en œuvre de modèles d’affaires et de développements soutenables. Audencia propose des programmes en management et en communication allant du bachelor au doctorat. Elle a signé des accords avec 212 institutions académiques à l’étranger, et plus de 180 entreprises nationales et internationales. Elle accueille plus de 6700 étudiants, dispose d’un corps professoral de 148 enseignants-chercheurs et d’un réseau de plus de 30 000 diplômés. Pour en savoir plus, consultez le site Internet : www.audencia.com et suivez-nous sur les réseaux sociaux : Twitter @audencia.